lundi 14 janvier 2008

L'Art comptant pour rien

Max est en fin de mois, aussi l'invitation à ce happening tombe bien. Du champagne, quelques petits fours et avec un peu de chance une étudiante des beaux-arts qui viendra lui apporter un peu de tendresse sous l'édredon de sa modeste chambre d'étudiant, voici la réelle motivation qui le décide à se rendre dans ce loft près du quai Branly.

L'endroit est vide de meubles, de décorations, désagréablement aseptisé, il y a des néons aveuglants, de l'acier et une musique techno trop forte. C'est plutôt dans la poussière, avec une âme dix neuvième siècle conservée que cet endroit aurait été joli pourtant.
Ce n'est pas du champagne qui est offert, mais du mousseux tiède en gobelet, le coca est éventé, des chips et des crackers remplacent les canapés. Il y a un public aux vêtements sciemment dépareillés, des adeptes de la world-culture, des petits cons qui ont fumé un joint et qui se prennent pour le summum de la subversion, de vieux ivrognes négligés qui s'habillent en jeunes pour draguer de petites paumées. Tout n'est qu'arrogance, vide interne et externe, reflet d'une époque qui ne vit plus en pensant tout s'autoriser, ça transpire le bouddhisme et le psychanalyse sur chaque visage. Max va souffrir ce soir, il s'en rend déjà compte, mais il est trop bien élevé pour faire ce qui serait le mieux : pousser la porte et rentrer chez lui. Qu'est-il donc venu faire en ce lieu où des gens sont si importants à leurs propres yeux qu'ils se prennent pour des objets d'art, s'exposent comme des tableaux de maîtres dans des galeries puisque l'amour et le repas gratuit de qualité ne sont pas là ?


Le spectacle commence et il n'est pas triste : le noir se fait, une poursuite éclaire l'"objet d'Art" qui arrive habillé d'une tenue de plongée, de lunettes de piscine, la techno a été remplacée par une autre techno plus agressive encore. La foule des crétins applaudit trop bruyamment, de façon trop enthousiaste pour ne pas y déceler une complète absence de sincérité. L'instant se veut solennel, il n'est que ridicule. Max a une envie de rire de bon coeur qu'il ne peut que contenir pour ne pas passer pour un plouc (le crime du siècle). Cette femme avance d'une démarche mimant peut-être le singe, peut-être le rappeur, certainement l'animal qui est en elle et que son gourou -thérapeute lui a suggéré de faire vivre. Jamais il n'aurait dû se mettre au premier rang, car les névrosées assumées ont un instinct redoutable, elle a senti "l'ennemi réactionnaire". Elle se statufie, tourne lentement les yeux vers lui puis pousse un épouvantable cri de bête, elle coure alors de façon néandertalienne vers le jeune homme qui a commis l'erreur impardonnable d'avoir mis un costume couleur de muraille. Elle le renifle à la manière d'un chien, puis grogne et le pousse par petits coups secs à la violence contenue, mais bien présente. Max doit faire un considérable effort pour ne pas lui mettre un coup de tête, il se sent agressé, mêlé malgré lui à cette hystérie revendiquée en Art..., mais il ne veut toujours pas passer pour un plouc. La vraie dingue qui joue l'artiste qui joue la folle lui redonne de l'air pour aller s'écrouler quelques mètres plus loin. Elle mime l'acte sexuel en se mettant sur le dos, les jambes écartées et en bougeant le bassin en saccades désordonnées, elle est bien plus ataxique, en réalité que sexuelle. Pas une once de sensualité ne se dégage de ce corps androgyne rendu encore plus absent par la tenue de plongée, la féminité semble être une ennemie chez les progressistes en régression artistique. Le lunettes de plongées lui rendent bien son air con, par contre ! Qui pourrait avoir envie de lui faire l'amour tant elle s'est rendue asexuée ? Et c'est son erreur, elle se plonge tellement dans l'égo par manque de sentiments reçus et donnés qu'elle inspire le rejet. L'"amour" seul au milieu de la foule ne dure pas longtemps, il est remplacé par une expression du vomissement et un autre cri de bête. Enfin vient la position du foetus, le doigt sucé, le training autogène, elle pleure comme le nourrisson, mime à ne pas s'y méprendre le nouveau- né dans une confusion telle qu'on ne sait même plus s'il est encore dans le ventre de la mère ou sorti. La poursuite s'éteint, le spectacle est terminé, la techno s'arrête, les claquements de mains finissent par laisser place à un heureux silence... ouf !

Max se retrouve artefact malgré lui. Les bobos bébés babas l'entourent, il a été l'objet d'attention de l'artiste...quel privilège !
-Katia donne tout, n'est-ce pas ? lui dit lunettes carrées.
- Certainement, c'est Magrit en mouvement lui répond Max dans une ironie qui n'est pas comprise.
-Tu aimes boulikovswigoth ? lui demande cheveux rouges aux pointes vertes
-Ce n'est pas mal, mais je préfère Ben Ballasoud le subversif pakistanais invente l'étudiant pour ne pas montrer son ignorance en matière d'artistes notoirement inconnus, mais qu'il faut tout de même connaître pour être de ce monde.
-Tu viens fumer un splif de ganja, frère ? l'invite rasta blond, le wigger.
-Non merci lui rétorque gentiment le sobre ce qui lui vaut un regard terriblement méprisant de celui qui a eu une révélation par Ja.

Les discussions se prolongent dans la même atonie faussement réjouie; Max trouve finalement le prétexte d'un examen à réviser pour mettre un terme à la fréquentation de cet établissement de la culture du MOI, de la solitude groupée, du vide rempli par le vide. Une angoisse le tyrannise jusque l'endormissement, on peut comprendre.

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