jeudi 17 janvier 2008

Un intellectuel

Fut un temps qui n'est pas à regretter où pour plaire aux dames, il fallait être un voyou qui devient acteur, une sorte de loulou mal dégrossi pourfendeur du système et venir faire la leçon de morale aux télespectateurs, leur expliquer qu'ils sont cons et ce qu'est la vie. Le beauf était la mise en valeur évidente, le contre-exemple et sa femme se devait de le quitter, de se libérer. Il semble que ce soit moins le cas aujourd'hui. Il ne fallait surtout pas être fonctionnaire, épicier...

Pour séduire les femmes de nos jours, il faut être un intellectuel d'ailleurs ils le sont tous : du chanteur qui s'exprime sur scène les pieds nus au footballeur qui met des lunettes rectangulaires, en passant par le prédicateur musulman, le créateur d'associations victimaires et le réalisateur qui n'a pas fait de films depuis un moment. La condition sine qua non est d'être riche que ce soit par le sport, la politique, les affaires, l'héritage avant de devenir intellectuel, il n'y a pas, de nos jours de penseurs pauvres hormis Onfray.

Si vous souhaitez vous y mettre, je vais vous donner quelques conseils, vous verrez que c'est simple :

-Pour commencer, il faut le dire et le répéter sans cesse : "nous les intellectuels...". Ensuite il faut employer des termes en vogue dans l'intellectualisme : doxa, ce terme grec qui signifie à peu de chose près préjugé populaire, mais aussi il faut écrire dans ses essais " à l'envi" pour bien montrer que nous connaissons ce particularisme, gare à celui qui se fera piéger et mettra un e. privilégiez les termes en isme, ne pas parler de racisme, mais de racialisme, par exemple est du meilleur effet. Toujours dans le cadre de l'essai, il faut enlever la pensée personnelle pour la substituer à celles de grand penseurs reconnus, déjà, on ne s'expose pas et si Platon, Heidegger, Voltaire l'ont dit, c'est que c'est vrai ! Remarquez que les philosophes ou écrivains cités doivent être nés après la révolution française ou à la rigueur être antiques, c'est acceptable et personne n'ira vérifier des penseurs grecs pré socratiques, très peu connus du grand public. Ne surtout pas citer un penseur de l'époque monarchique, ce serait le retrait du crédit et le soupçon souverainiste. Il convient ensuite de se mettre en phase avec le pouvoir, si celui-ci est mitterrandien, faites vos courbettes à gauche, s'il devient sarkoziste, faites vos courbettes à droite, vous devez être le lierre qui se cramponne, le singe du maître (pour citer à mon tour d'autres), répondre aux ordres, divulguer la propagande du moment, faites tout de même une légère critique de temps à autre ou mettez-vous dans l'opposition semblable à celle du pouvoir : le parti socialiste ou le modem pour l'UMP pour jouer à l'homme libre. Les rares fois où vous n'avez pas un confrère courtisan en vis-à-vis et qu'il commence à argumenter à votre désavantage, indignez-vous, mettez-vous en colère, faites-lui peser un soupçon d'inhumanité ou mieux encore d'antisémitisme. Au mieux, la meute suivra et il n'aura plus accès à l'antenne; au pire, le temps qu'il passe à se justifier, à sortir sa liste d'amis juifs, à s'excuser, vous aurez plombé le débat là-dessus et vous serez sauvé de la mauvaise posture. Si vous êtes médecin de formation ou humanitaire professionnel, n'hésitez pas à rappeler que vous sauvez des vies, que vous êtes allé la-bas pendant que votre contradicteur (le salaud) se vautrait dans l'égoïsme de son canapé et de sa vie de famille. Pour vous entraîner, vous pouvez vous passer des DVDs de Bernard Kouchner, il pratique à merveille. Dès qu'il est embarrassé, hop la gueulante et le tour est joué.
Enfin, il vous faut une cause, un soutien : si vous êtes juif, la Shoa ou la guerre israëlo-palestinienne, si vous êtes noirs : la colonisation et l'esclavagisme, bien sûr, si vous êtes arabe, c'est la colonisation, la guerre palestino-israëlienne et les ghettos des banlieues, si vous êtes homosexuel, vous avez le sida, le mariage gay, si vous n'êtes pas dans ces cas de figures, alors il vous faut choisir parmi ces sujets invoqués et vous rattacher. Le truc est de lutter pour une cause qui finisse en phobe contre une autre cause qui finisse en phobe, vous pouvez par exemple être contre l'homophobie et vous battre contre des gens qui vous traitent d'islamophobe. Tous les cas de figures sont à croiser, attention cependant de ne pas vous fourvoyer dans certaines alliances, si vous êtes pour l'arachnophobie et que vous vous acoquiniez avec un agoraphobe, vous vous mettrez à dos les claustrophobes qui se sentent lésés dans les ascenseurs où il y a des araignées.
Ne pas oubliez surtout de citer de nombreux auteurs inconnus d'un ton badin, évident, comme si tout le monde avait un jour dîné avec eux, vos connaissances seront prises pour de l'intelligence et comme pour la pensée des philosophes citée plus haut, vous remplirez de la page facilement, sans efforts. Faites des citations latines, il y en a de toutes prêtes dans le commerce fournies avec la traduction qui vous éviteront de faire des versions. Le plagiat est fréquent, aussi n'hésitez pas à l'utiliser, n'allez pas recopier des vers de La Fontaine ou de Racine, vous seriez vite attrapés, mais cherchez ou faites chercher d'illustres anonymes doués dans la prose comme dans l'idée qui n'ont pas rencontré le public. Au bout de quelques livres, vous vous serez fait des relations avec des gens comme vous, vous aurez une responsabilité dans quelques grands quotidiens et des affaires en parallèle. Là, vous n'aurez même plus besoin d'écrire vos livres, des nègres feront les recherches et les copies pour vous, il ne vous restera plus qu'à aller briller sur les plateaux de télévision. Ne vous faites pas trop de soucis, les animateurs sont briffés par leur producteur et ils seront au courant, marcheront dans la combine, ils font des livres aussi en général et leur emploi dépend de leur servitude. En cas de ratés, les coupures au montage seront à votre avantage, aussi vous pouvez être serein. Il ne vous reste plus qu'à prendre l'air rêveur de ceux qui pensent beaucoup, d'avoir l'air détaché de l'argent et vous voici intellectuel.

lundi 14 janvier 2008

L'Art comptant pour rien

Max est en fin de mois, aussi l'invitation à ce happening tombe bien. Du champagne, quelques petits fours et avec un peu de chance une étudiante des beaux-arts qui viendra lui apporter un peu de tendresse sous l'édredon de sa modeste chambre d'étudiant, voici la réelle motivation qui le décide à se rendre dans ce loft près du quai Branly.

L'endroit est vide de meubles, de décorations, désagréablement aseptisé, il y a des néons aveuglants, de l'acier et une musique techno trop forte. C'est plutôt dans la poussière, avec une âme dix neuvième siècle conservée que cet endroit aurait été joli pourtant.
Ce n'est pas du champagne qui est offert, mais du mousseux tiède en gobelet, le coca est éventé, des chips et des crackers remplacent les canapés. Il y a un public aux vêtements sciemment dépareillés, des adeptes de la world-culture, des petits cons qui ont fumé un joint et qui se prennent pour le summum de la subversion, de vieux ivrognes négligés qui s'habillent en jeunes pour draguer de petites paumées. Tout n'est qu'arrogance, vide interne et externe, reflet d'une époque qui ne vit plus en pensant tout s'autoriser, ça transpire le bouddhisme et le psychanalyse sur chaque visage. Max va souffrir ce soir, il s'en rend déjà compte, mais il est trop bien élevé pour faire ce qui serait le mieux : pousser la porte et rentrer chez lui. Qu'est-il donc venu faire en ce lieu où des gens sont si importants à leurs propres yeux qu'ils se prennent pour des objets d'art, s'exposent comme des tableaux de maîtres dans des galeries puisque l'amour et le repas gratuit de qualité ne sont pas là ?


Le spectacle commence et il n'est pas triste : le noir se fait, une poursuite éclaire l'"objet d'Art" qui arrive habillé d'une tenue de plongée, de lunettes de piscine, la techno a été remplacée par une autre techno plus agressive encore. La foule des crétins applaudit trop bruyamment, de façon trop enthousiaste pour ne pas y déceler une complète absence de sincérité. L'instant se veut solennel, il n'est que ridicule. Max a une envie de rire de bon coeur qu'il ne peut que contenir pour ne pas passer pour un plouc (le crime du siècle). Cette femme avance d'une démarche mimant peut-être le singe, peut-être le rappeur, certainement l'animal qui est en elle et que son gourou -thérapeute lui a suggéré de faire vivre. Jamais il n'aurait dû se mettre au premier rang, car les névrosées assumées ont un instinct redoutable, elle a senti "l'ennemi réactionnaire". Elle se statufie, tourne lentement les yeux vers lui puis pousse un épouvantable cri de bête, elle coure alors de façon néandertalienne vers le jeune homme qui a commis l'erreur impardonnable d'avoir mis un costume couleur de muraille. Elle le renifle à la manière d'un chien, puis grogne et le pousse par petits coups secs à la violence contenue, mais bien présente. Max doit faire un considérable effort pour ne pas lui mettre un coup de tête, il se sent agressé, mêlé malgré lui à cette hystérie revendiquée en Art..., mais il ne veut toujours pas passer pour un plouc. La vraie dingue qui joue l'artiste qui joue la folle lui redonne de l'air pour aller s'écrouler quelques mètres plus loin. Elle mime l'acte sexuel en se mettant sur le dos, les jambes écartées et en bougeant le bassin en saccades désordonnées, elle est bien plus ataxique, en réalité que sexuelle. Pas une once de sensualité ne se dégage de ce corps androgyne rendu encore plus absent par la tenue de plongée, la féminité semble être une ennemie chez les progressistes en régression artistique. Le lunettes de plongées lui rendent bien son air con, par contre ! Qui pourrait avoir envie de lui faire l'amour tant elle s'est rendue asexuée ? Et c'est son erreur, elle se plonge tellement dans l'égo par manque de sentiments reçus et donnés qu'elle inspire le rejet. L'"amour" seul au milieu de la foule ne dure pas longtemps, il est remplacé par une expression du vomissement et un autre cri de bête. Enfin vient la position du foetus, le doigt sucé, le training autogène, elle pleure comme le nourrisson, mime à ne pas s'y méprendre le nouveau- né dans une confusion telle qu'on ne sait même plus s'il est encore dans le ventre de la mère ou sorti. La poursuite s'éteint, le spectacle est terminé, la techno s'arrête, les claquements de mains finissent par laisser place à un heureux silence... ouf !

Max se retrouve artefact malgré lui. Les bobos bébés babas l'entourent, il a été l'objet d'attention de l'artiste...quel privilège !
-Katia donne tout, n'est-ce pas ? lui dit lunettes carrées.
- Certainement, c'est Magrit en mouvement lui répond Max dans une ironie qui n'est pas comprise.
-Tu aimes boulikovswigoth ? lui demande cheveux rouges aux pointes vertes
-Ce n'est pas mal, mais je préfère Ben Ballasoud le subversif pakistanais invente l'étudiant pour ne pas montrer son ignorance en matière d'artistes notoirement inconnus, mais qu'il faut tout de même connaître pour être de ce monde.
-Tu viens fumer un splif de ganja, frère ? l'invite rasta blond, le wigger.
-Non merci lui rétorque gentiment le sobre ce qui lui vaut un regard terriblement méprisant de celui qui a eu une révélation par Ja.

Les discussions se prolongent dans la même atonie faussement réjouie; Max trouve finalement le prétexte d'un examen à réviser pour mettre un terme à la fréquentation de cet établissement de la culture du MOI, de la solitude groupée, du vide rempli par le vide. Une angoisse le tyrannise jusque l'endormissement, on peut comprendre.